par Henry-Louis Guillaume, Arnaud Schenkel, Benjamin Van Nieuwenhove et Mélody Ducastelle
La photogrammétrie exploite le principe de parallaxe entre plusieurs photographies d’un même sujet prises sous des positions et des angles différents. Ces différences de parallaxe vont permettre aux programmes de photogrammétrie de déterminer, de manière trigonométrique, les coordonnées des points de référence et de jonction permettant la création d’un modèle numérique tridimensionnel. Il convient, dès lors, de déterminer un mode opératoire de prise de vue permettant de couvrir l’ensemble d’un sujet de manière géométriquement correcte en évitant toute omission et contre-dépouille.
Le principe semblant de prime-à-bord simple, de nombreuses personnes s’adonnent à la photogrammétrie, soit par envie de tester une nouvelle technique, soit par passion pour la modélisation 3D. Le problème constant de cette technique provient, d’une part, du fait qu’elle semble aisée à mettre en place et que tout un chacun soit capable de produire, facilement, des reconstructions tridimensionnelles réalistes de manière intuitive. D’autre part, les personnes à qui l’on présente un travail photogrammétrique ne sont pas nécessairement au fait de l’investissement en temps, en matériel photographique et informatique, en logiciel et en expérience que requiert cette technique pour produire un travail de qualité professionnelle. Il en résulte l’émergence, sur de nombreux sites tels que Sketchfab, d’un ensemble de réalisations photogrammétriques qui atteignent rarement les critères de qualités requis que nous évoquerons plus bas.
Il est donc nécessaire de savoir expliquer, à tout un chacun, la différence entre une photogrammétrie de qualité et une photogrammétrie amateur, afin de justifier le coût des réalisations professionnelles suivant une méthodologie technique et scientifique.
Tout d’abord, il est possible de réaliser une photogrammétrie à partir d’images issues de n’importe quel matériel capable de prendre des photographies, mais la qualité et la précision du modèle final dépendent essentiellement des images et de leur précision. Le matériel de prise de vue photogrammétrique doit se définir par sa flexibilité à s’adapter aux contraintes de prise de vue ainsi que par ses caractéristiques matérielles et logicielles. A proprement parler, une photogrammétrie de qualité dépendra – outre l’utilisation correcte du matériel et l’expérience de l’opérateur – d’un appareil possédant un capteur présentant une très haute définition et une dynamique importante, entièrement débrayable en mode manuel, muni d’un auto-focus calibrable, d’une connectique étendue pour gérer des systèmes de déclenchement et des sources de lumière de qualité, mais aussi couplable à de bons objectifs et monté sur un trépied stable et maniable. Le traitement photogrammétrique, quant à lui, requiert une station de travail puissante, riche en mémoire vive et en espace de stockage composé d’une ou de plusieurs cartes graphiques puissantes : de la puissance de la machine dépendra le temps de traitement. Il est donc nécessaire d’expliquer cette importance primordiale du matériel, de l’investissement dans ce dernier et de la maîtrise que l’opérateur a en photographie, car la qualité d’image est ainsi observable au travers d’une meilleure définition, d’une taille plus importante d’informations, d’une meilleure gestion des couleurs et de la lumière, d’une profondeur de champs mieux maîtrisée, d’une élimination des types de flous et de bruits de capteur, d’une gestion des déformations lenticulaires en amont et en aval par une calibration régulière ainsi qu’une utilisabilité précise en fonction des contraintes de prise de vue.
Il est nécessaire, ensuite, que tout professionnel puisse expliquer, de manière claire et compréhensible son processus d’acquisition et de traitement des images obtenues durant les prises de vue. Certains photogrammétristes considèrent que des images brutes, non-retouchées, sont une base solide et exploitables directement pour obtenir une reconstruction 3D fidèle. Dès le moment où il appuie sur le déclencheur, un photographe professionnel est conscient de produire une image 2D tronquée de la réalité, dépendant d’une luminosité calculée par l’appareil, selon certaines conditions, et comportant des déformations produites par l’objectif utilisé. Il est dès lors impératif d’expliquer, à toute personne intéressée par les réalisations issues de cette technique de reconstruction, l’importance de plusieurs heures de retouches infographiques des lots d’images, afin qu’elles soient interprétées au mieux par les programmes de recontruction. Il en résultera une homogénéité colorimétrique et photométrique, une amélioration des détails amenant un plus grand nombre de points de contrôle lors de la reconstruction géométrique et un maillage plus précis évitant les dérives qui découlent de l’architecture optique des lentilles utilisées.
Dès le moment où il appuie sur le déclencheur, un photographe professionnel est conscient de produire une image 2D tronquée du monde réel […]
Le modèle réalisé, il est possible de démontrer aisément la qualité du travail final sous différents aspects. Les programmes photogrammétriques ne réalisent, en fait, qu’une partie du travail : la production d’un nuage de points et/ou d’un modèle 3D haute définition brut et peu manipulable. Ce modèle brut doit nécessairement être traité avec des techniques d’infographie 3D : décimation (réduction du poids polygonal du modèle), retopologie (réorganisation rationnelle du maillage), relighting, correction du mesh, correction de la texture, génération des différentes cartes nécessaires à la création d’un shader complexe retranscrivant le réel en fonction du modèle et des visées du projet (color map, normal map, displacement map, elevation map, glossiness, roughness, shadow map, AO map, …), UV mapping, etc… Il est impératif de comparer un modèle brut n’ayant subit aucune rectification, mise à part une décimation pour être exportable sur un viewer en ligne, avec un modèle final retouché en amont et en aval.
Voici un exemple de comparaison entre une modélisation n’ayant subit aucun pré et post-traitement et le même modèle présentant divers traitements :
- Différence entre un modèle non rectifié et un modèle rectifié (correction photographique, colorimétrique et delighting du lot de traitement, adjonction d’une carte de normales modifiée pour les détails, relighting dans le player web) :
- Différence entre la topologie et la texture d’un mesh non-travaillé et d’un mesh et une texture ayant subit une décimation contrôlée, une retopologie et un UV mapping :
Prise de vue | |
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Matériel photographique | Appareil possédant un capteur haute résolution |
Calibration appareil + optique | Calibration Auto-Focus et création de presets de correction optique adaptés |
Utilisation de la prise de vue en RAW | Pour utilisation directe ou pour retouches et développement |
Pré-traitements | |
Suppression des ombres et des spéculaires (delight) | Suppression matérielle ou logicielle des ombres portées et des reflets |
Corrections colorimétriques | Utilisation d’une charte colorimétrique pour calibration des couleurs réelles |
Corrections optique | Correction des déformations produites par les optiques |
Corrections infographiques | Correction des lots d’images avant photogrammétrie pour uniformisation |
Processus photogrammétrique |
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Génération du nuage de point dense | Obtention du nuage de points dense par recalage des photographies |
Traitement et nettoyage du nuage de point dense | Colorisation, nettoyage, traitement de la densité du nuage de points, adjonction de données de terrain |
Maillage du modèle brut | Maillage du nuage de points dense pour obtention du modèle 3D brut haute définition |
Texturisation du modèle brut | Projection de la texture brute sur le modèle haute définition |
Post-traitements |
|
Nettoyage CAD | Nettoyage des points et des polygones excédentaires, comblements des trous et lissage |
Création du shader | Extraction et création des cartes de textures composant le matériel et corrections |
Décimation | Réduction du poids polygonal du modèle en fonction de son exploitation finale |
Retopologie | Réorganisation et rationalisation du maillage polygonal |
Reprojection | Reprojection de la texture corrigée haute définition sur le maillage décimé |
Élaboration du shader | Assemblage des différentes cartes du shader final |
UV Mapping | Réorganisation et rationalisation de la texture finale et retouches |
Level of Details | Création de différents niveaux de détails du modèle pour utilisation dans des moteurs en temps réel |
Stockage des données | Stockage des acquisitions et des modèles bruts et retouchés ainsi que les données de modèles intermédiaires pour tout travail ultérieur |
Bien que des amateurs chevronnés puissent produire des photogrammétries de qualité, une production professionnelle prendra soin d’archiver chaque étape du travail afin de pouvoir remployer les données brutes ou améliorer le modèle pour une utilisation postérieure, corriger ou augmenter ces modèles en ajoutant des données topographiques ou lasergrammétriques pour en extraire des données spécifiques tels que des calculs de distances, de surfaces ou de volumes, des orthophotographies, des nuage de points pour diverses analyses, etc … Une réalisation de qualité garanti également une compatibilité assurée avec de nombreux programmes de modélisation 3D, d’impression 3D, d’interpréteurs pour fraiseuses numériques, de gestionnaires BIM, de moteurs de rendu précalculés ou temps réel, de moteur de jeux vidéo ou de compositing VFX, en respectant les standards de chacun de ces secteurs.
Après ces considérations matérielles et techniques, il est important de souligner que toute manipulation informatisée requiert l’utilisation de programmes : ces derniers ont un prix de licence d’utilisation élevé de plusieurs milliers d’euros, d’autant plus justifié par un service après vente pouvant régler bon nombre de problèmes liés à la réalisation de certains projets. Il est dès lors impératif de pouvoir prouver, à tout maître d’oeuvre le souhaitant, une preuve de conformité des licences logicielles ; l’amortissement du prix des licences logicielles rentre évidement dans le décompte de la facture d’un projet de qualité. Accepter un travail réalisé avec des licences pirates revient à participer au piratage.
Bibliographies
- Michael J. Bennett, Evaluating the Creation and Preservation Challenges of Photogrammetry-based 3D Models, 2015.
- Fei Dai, Youyi Feng and Ryan Hough, Photogrammetric error sources and impacts on modeling and surveying in construction engineering applications, In Visualization in Engineering, 2014 2:2.
- Jean-Michel Friedt, Reconstruction de structures tridimensionnelles par photographies : le logiciel MicMac, 2014.
- Isabella Toschi, Alessandro Capra, Livio De Luca, et al., One the Evaluation of Photogrammetric Methods for Dense 3D Surface Reconstruction in a Metrological Context, In ISPRS Annals of the Photogrammetry, Remote Sensing and Spatial Information Sciences, Volume II-5, 2014.
- Sam A. A. Kubba, Architectural Forensics, McGraw-Hill, 2008.
- Donald. H. Sanders, Archaeological publications using virtual reality: case studies and caveats, In Virtual Reality in Archaeology, pp. 37-52, Oxford: BAR, 2000.
- Maurizio Forte, Alberto Siliotti., Virtual archaeology: Re-creating Ancient Worlds, New York, 1996.
- Nick S. Ryan, Computer based visualisation of the past: technical ‘realism’ and historical credibility, In, Imaging the Past: Electronic Imaging and Computer Graphics in Museums and Archaeology, pp. 95-108, London, 1996.